À quoi pourrait ressembler une réforme de la réversion ?
Le 17 octobre dernier, les membres du COR ( le conseil d’orientation des retraites ) se sont de nouveau réunis sur le sujet des droits conjugaux et familiaux de la retraite.
Pour rappel, l’instance avait été saisie en mai 2023 par Élisabeth Borne afin de réfléchir à des pistes d’évolution de ces deux corps de règles de la retraite peu lisibles et de moins en moins adaptés à la société actuelle : la pension de réversion et les droits retraite liés aux enfants.
👉🏻 Vous trouverez une synthèse des travaux précédents du COR dans ces 2 articles :
🔗 Retraite et enfants : les réformes possibles
🔗 Réforme de la pension de réversion : les pistes envisagées
Les choses se précisent désormais davantage, et se dessine une future réforme de la réversion, même si les membres du COR ne sont pas décideurs comme ils le rappellent, mais plutôt chargés d’éclairer le débat.
Voyons ce qu’il faut retenir de cette nouvelle réunion sur le sujet de la pension de réversion ( je consacrerai un prochain article au volet des droits retraite liés aux enfants ).
Public : tous les actifs
Date de l’article : 28/10/2024
📌 Au sommaire
Quelle est la finalité de la réunion du COR ?
Une dernière réunion avant la remise d’un rapport final
Le but de cette 3e réunion du COR sur une possible réforme de la réversion ( et des droits retraite liés aux enfants ) est de formuler des propositions concrètes, qui devraient donner lieu à des simulations chiffrées prenant la date du 1er janvier 2026 comme point de départ théorique.
👉🏻 Un rapport devrait ensuite être rendu dans les prochains mois pour proposer au gouvernement des pistes concrètes de réforme, assorties de leur coût.
☝🏻 Dans sa première réunion du 19 octobre 2023, le COR avait dressé un état des lieux des dispositifs existants ainsi que des évolutions sociales à prendre en compte pour les faire évoluer.
Dans une seconde phase de travaux, restitués lors d’une réunion du 1er février 2024, l’instance avait examiné en détail les objectifs de la pension de réversion, et les leviers à actionner pour permettre de les atteindre.
Quel est le contenu de cette 3e réunion du COR ?
L’avis des membres du COR, recueilli dans un questionnaire
Dans cette réunion du 17 octobre, le COR partage tout d’abord les réponses données par ses membres à un questionnaire, adressé en février 2024, visant à recenser leur avis et leurs souhaits de réforme de la réversion.
On apprend que plusieurs organisations syndicales ont refusé de se prêter à l’exercice…
Si les réponses au questionnaire ont fait émerger des consensus sur certains sujets, d’autres ont partagé l’opinion des participants.
🔵 Le COR est dans l’ensemble défavorable à la suppression de la pension de réversion.
Les membres jugent qu’une telle mesure serait trop brutale et entraînerait une « défiance », voire de la « conflictualité sociale ». En d’autres termes, cela ne passerait pas auprès de l’opinion, et après les remous provoqués par le récent recul de l’âge de la retraite, on ne peut que les rejoindre sur ce point !
🔵 Le COR s’exprime également en défaveur d’un financement spécifique de la réversion par les couples mariés, jugeant une telle mesure contraire au principe de la retraite par répartition, dans laquelle tous bénéficient des mêmes droits, quels que soient les choix personnels.
🔵 Un objectif prioritaire recueille une large adhésion : la réforme de la réversion doit être orientée vers le maintien du niveau de vie du conjoint survivant.
🔵 Les membres sont également favorables, mais dans une moindre mesure, à une ouverture de la réversion aux couples non mariés, mais ne jugent pas ce changement prioritaire. Il aurait par ailleurs un coût important.
🔵 Enfin, sur la question de l’absence de remariage pour bénéficier de la réversion, ou encore sur la suppression d’une condition de ressources, les avis sont partagés.
D’une harmonisation vers une refonte totale de la réversion
S’il y a bien une mesure qui fait consensus, c’est l’harmonisation des règles de la pension de réversion. Comme je l’ai déjà souligné dans de précédents articles sur le sujet, la pension de réversion est aujourd’hui incohérente et inégalitaire, car elle suit des logiques très différentes selon le statut du travailleur et l’étage de la retraite concerné ( base ou complémentaire ).
Une harmonisation des règles dans le cadre d’une réforme de la réversion rendrait également le dispositif plus lisible. C’est un objectif louable, mais pas vraiment poursuivi par les différentes réformes de la retraite accomplies ces dernières années : elles n’ont fait que complexifier toujours un peu plus la matière !
🔎 Pour rappel, jetons un œil sur la multiplicité des règles actuellement en vigueur.
Le COR détaille ensuite des pistes d’évolutions plus profondes, qui passeraient par une modification du mode de calcul de la pension.
Enfin, il présente un scénario plus ambitieux de refonte globale des droits conjugaux et familiaux dans leur ensemble, dans lequel la réversion sortirait du périmètre de la retraite et deviendrait une sorte de « minimum veuvage », financé par l’impôt.
Voyons tout cela plus en détail.
Réforme de la réversion : les pistes pour harmoniser les règles
👉🏻 Le COR propose une harmonisation sur 4 paramètres, en présentant pour chacun différents scénarios, les intervenants n’étant pas parvenu à s’accorder sur les variables à retenir.
Harmoniser le taux de calcul de la pension de réversion
Aujourd’hui, la réversion permet à un conjoint survivant d’obtenir un pourcentage de la pension du travailleur décédé, variant de 50 à 60 %.
Le COR propose donc de retenir un seul taux, applicable dans l’ensemble des régimes de retraite.
👉🏻 Les simulations chiffrées devront donc se concentrer sur 3 hypothèses :
- le taux le plus bas, de 50 % ;
- le taux médian, de 55 % ;
- le taux le plus élevé, de 60 %.
Unifier les conditions de ressources pour accéder à la réversion
Certains régimes de retraite versent la pension de réversion uniquement si le conjoint survivant n’atteint pas, toutes ressources personnelles confondues et en tenant compte de la pension de réversion qui serait servie, un certain plafond. D’autres régimes versent sans aucune condition de revenus personnels ( comme l’Agirc-Arrco par exemple ).
Les avis exprimés par les membres du COR sont partagés sur le sujet de maintenir une condition de ressources dans le cadre d’une réforme de la réversion…
👉🏻 Le COR propose donc de simuler 2 scénarios :
- l’absence de condition de ressources ;
- une condition de ressources unique pour chacun des régimes, fixée au plafond déjà en vigueur dans le régime de base des salariés, des indépendants et de la plupart des professions libérales ( soit 2 019 €/mois pour une personne seule et 3 231 €/mois pour un couple ).
Créer un âge unique pour bénéficier de la réversion
Encore une condition qui diffère selon le régime de retraite concerné. Certains posent un âge minimum pour toucher la réversion, d’autres l’ouvrent quel que soit l’âge du survivant ( mais l’assortissent alors d’autres conditions ).
👉🏻 Pour le COR, 2 hypothèses doivent être étudiées :
- une réversion accessible à 55 ans dans tous les régimes ;
- une réversion accessible sans aucune condition d’âge minimal.
Uniformiser la condition de non-remariage pour toucher la pension de réversion
Encore une question sur laquelle l’opinion des membres du COR est partagée : le bénéficiaire d’une pension de réversion peut-il se remarier sans perdre son droit ?
Certains régimes le prévoient, d’autres pas. On citera pour exemple le régime des salariés du privé, dans lequel la réversion est supprimée définitivement par l’Agirc-Arrco si le bénéficiaire se remarie, alors qu’elle est maintenue par le régime de base ( qui examine cependant les ressources du couple ). Certains régimes, eux, suspendent la pension en cas de remariage, mais la rétablissent si un divorce intervient par la suite.
Les membres du COR proposent ainsi de simuler deux scénarios :
- l’absence de toute condition de non-remariage dans l’ensemble des régimes ;
- une suspension de la réversion en cas de remariage, avec un rétablissement possible en cas de divorce.
☝🏻 Le COR indique que les chiffrages réalisés à partir de toutes ces hypothèses devront permettre un ajustement de ces différents paramètres, selon qu’ils permettent de dégager des économies, ou au contraire, alourdissent les finances publiques.
En cas d’économie, il serait possible de réorienter les gains sur d’autres branches de la Sécurité sociale comme la famille ou la dépendance.
👉🏻 L’harmonisation des règles semble être un prérequis indispensable à toute réforme de la réversion.
Mais faut-il aller plus loin et revoir les règles en profondeur ?
Voyons quelles sont les modifications plus structurelles que propose le COR, qui touchent au mode de calcul de la pension.
Vers une réforme du mode de calcul de la réversion ?
Aujourd’hui, le calcul de la pension de réversion ( pour faire simple ) consiste à verser au bénéficiaire un pourcentage fixe de la pension du travailleur décédé.
Dans le régime de base des salariés par exemple, les prétendants à la réversion peuvent obtenir 54 % de la retraite du défunt.
Le COR propose d’aller plus loin, et étudie l’hypothèse d’un changement dans le mode de calcul de la réversion. Il retient ainsi deux évolutions possibles, selon la finalité que l’on souhaite donner au dispositif : maintenir le niveau de vie du conjoint survivant ( logique « assurantielle » ) ou créer un droit directement lié à la période de vie commune ( logique « patrimoniale » ).
La réversion comme outil de maintien du niveau de vie
👉🏻 L’objectif de maintien du niveau de vie du conjoint survivant est celui qui recueille la majorité des avis favorables des membres du COR.
L’idée est simple : la réversion doit permettre à celui qui survit de conserver une partie des ressources dont bénéficiait le couple jusqu’au décès.
La formule de calcul proposée est la suivante :
Prenons un exemple !
👉🏻 Imaginons un travailleur décédé touchant 1 500 € de retraite, et son conjoint, qui perçoit 900 €.
La totalité des revenus du couple s’élève donc à 2 400 €.
La pension de réversion serait donc égale à 700 € ( 1 000 – 300 ). S’ajouterait à ce montant la retraite personnelle du conjoint, égale à 900 €, ce qui permettrait à ce dernier de bénéficier d’un revenu total de 1 600 €, soit 66 % de ce que percevait le couple au total.
On maintient donc 2/3 de l’ancien niveau de vie du couple.
Chaque régime verserait la partie qui lui incombe, en fonction de ce que représente sa part dans le montant de la pension du défunt.
☝🏻 Rappelons qu’en 2020, avant la survenue de la crise du Covid, il était question dans le régime universel de retraite alors en discussion, d’attribuer à la personne veuve 70 % du revenu du couple.
Avec ce type de calcul, il n’est donc plus question d’aucune condition de ressources pour bénéficier d’une pension de réversion.
Selon le COR, ce type de mesure poserait cependant des difficultés en présence de plusieurs bénéficiaires. Pour les régler, il émet l’idée que la question du « partage » de la retraite soit réglée au moment du divorce, par l’attribution de compensations qui fermeraient donc définitivement le droit pour un ex-conjoint de demander une réversion dans le futur. Cette dernière serait réservée à l’unique survivant.
Un montant de réversion lié à la durée du mariage
Cette fois, la réversion n’est plus liée aux ressources du couple au moment du décès, mais à la durée du mariage.
Le COR propose d’explorer deux pistes de réforme de la réversion :
🔵 un calcul qui tiendrait compte de la durée du mariage par rapport à la durée d’assurance du défunt.
👉🏻 Par exemple, si le couple a été marié 10 ans, et que le défunt a cotisé 40 ans, le survivant aurait donc ¼ de la réversion calculée sur la retraite du travailleur décédé. Si le mariage excède 40 ans, le survivant aurait la totalité de la réversion.
🔵 un calcul qui tiendrait compte de la durée totale des différents mariages.
Dans ce cas, le conjoint survivant bénéficierait de la totalité de la pension de réversion en cas de mariage unique, ou d’une partie selon la durée de l’union, au regard de la durée totale des mariages du défunt, si celui-ci a été marié plusieurs fois.
☝🏻 On retrouve ici la règle actuellement en vigueur dans la plupart des régimes de retraite.
Le COR précise que la condition d’absence de remariage serait supprimée.
👉🏻 La réversion représenterait donc des « droits acquis correspondant aux périodes de solidarité liées au mariage », logique très différente du maintien du niveau de vie.
L’idée d’une allocation réservée aux veuves les plus modestes, hors du périmètre de la retraite
Selon le COR, de nombreuses évolutions justifient une refonte globale des droits conjugaux et familiaux, qui rappelons-le, n’ont pas été profondément modifiés depuis de nombreuses décennies.
👉🏻 Les femmes sont aujourd’hui de plus en plus présentes sur le marché du travail, et obtiennent de meilleures retraites personnelles.
En parallèle, les modes de conjugalité ont également évolué, avec une plus large place du PACS, de la vie commune hors mariage, et des divorces plus courants. Se multiplient ainsi les situations dans lesquelles les femmes se retrouvent isolées et en situation de pauvreté au moment de leur prise de retraite.
Quant aux inégalités de retraite entre hommes et femmes, elles sont avant tout liées à l’impact de l’éducation des enfants sur la carrière selon le COR, et touchent donc au premier chef les mères de famille. Ce sont donc ces dernières que la réforme doit privilégier.
👉🏻 L’instance propose donc de basculer les sommes allouées à la réversion vers les droits retraite liés aux enfants.
Les droits familiaux seraient donc renforcés au profit des mères de famille.
En contrepartie, la pension de réversion serait progressivement transformée en une allocation veuvage, réservée aux femmes et ouverte uniquement aux plus modestes d’entre elles.
Cette assurance veuvage pourrait être financée en totalité par l’impôt, et sortirait donc du périmètre de la retraite.
Elle bénéficierait à la veuve âgée d’au moins 55 ans, qui justifierait d’une certaine durée de vie commune avec le travailleur décédé, sans qu’un lien de mariage soit requis.
Au démarrage du dispositif, elle permettrait aux veuves un strict maintien du niveau de vie, avec un maximum des 2/3 des revenus du couple avant le décès. Il évoluerait ensuite vers une sorte d’ASPA ( le minimum vieillesse ), plafonné à un certain montant, attribué sous condition de ressources, et récupérable sur la succession.
Les ex-conjointes ou ex-compagnes éventuelles seraient donc exclues de la réversion, et pour celles qui ont été mariées, il reviendrait au divorce de gérer la question des compensations financières.
Le COR propose de mettre en place cette nouvelle assurance veuvage pour les décès intervenant à compter du 1er janvier 2026.
Harmonisation, évolution ou disparition de la réversion au profit d’un autre dispositif, toutes ces pistes proposées par le COR devraient donner lieu à un chiffrage par les organismes publics compétents.
Le conseil d’orientation des retraites remettra ensuite son rapport final au gouvernement, à qui il reviendra ensuite de décider de l’avenir de la pension de réversion.
Le gouvernement qui héritera de ce dossier aura-t-il le courage de se lancer dans cette nouvelle réforme, autant complexe que clivante ?
Autres contenus en lien avec cet article :